Déclarations officielles de la Société canadienne de chronobiologie:

  1. Déclaration officielle de la Société canadienne de chronobiologie en appui à l'heure normale à l'année longue 2022
    (voir ci-dessous)

  2. Article sur The Globe and Mail: Déclaration de la Société canadienne de chronobiologie en appui à l'heure normale à l'année longue 2019 (voir ci-dessous)

Déclaration officielle de la Société canadienne de chronobiologie en appui à l'heure normale à l'année longue

Le 13 avril 2022

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Résumé

La Société canadienne de chronobiologie préconise l'élimination des changements d'heure ayant lieu deux fois par an. Ces changements, en particulier au printemps, sont non seulement incommodes et perturbateurs, mais également responsable d'effets négatifs à court terme tels que des augmentations de problèmes de santé aigus et d'accidents. Au lieu de ces changements d'heure, nous recommandons l'heure normale (HN, heure d'hiver) à l'année longue plutôt que l'heure avancée (HA, heure d'été). L'HN règle l'horloge sociale plus près de notre horloge biologique interne, nos rythmes circadiens, qui sont réglés par la lumière de l'aube. L'HA déplace le lever du jour plus tard, et crée un décalage horaire social via un écart entre notre propension biologique à nous réveiller près de l'aube et les demandes sociales de rester éveillés tard. Il est attendu que l'HA à l'année augmenterait la prévalence de maladies chroniques, réduirait la performance économique et accroitrait les inégalités dans la société. Les avantages supposés de l'HA à l'année, tels que les économies d'énergie et les bénéfices pour les agriculteurs, ne sont pas appuyés par les données. Des essais antérieurs de l'HA à l'année se sont révélés impopulaires. En conclusion, l'HN à l'année longue devrait être adoptée comme mesure de santé publique.

 

La Société canadienne de chronobiologie appuie l'heure normale à l'année longue pour les raisons suivantes:

 

A. Il est important d'aligner notre horaire social avec l'horloge biologique humaine

Presque tous les êtres vivants ont des horloges biologiques internes qui contrôlent leurs cycles éveil/sommeil, leurs activités et leurs fonctions corporelles selon des rythmes d'environ 24 heures (ou circadiens). Chez les humains, la lumière du jour est perçue par les yeux et règle l'horloge centrale située dans le cerveau, et cette horloge cérébrale envoie ensuite des signaux dans tout le corps pour ajuster les horloges de nos autres tissus et organes, incluant le foie, le cœur, l'intestin et les muscles. Nos horloges préparent notre esprit et notre corps pour les activités prévisibles au cours de la journée, et pour un sommeil réparateur à la fin de la journée. Nos profils d'activité au cours des 24 heures ne sont pas de simples habitudes ou traditions qui pourraient être réapprises selon n'importe quel horaire qu'on choisirait, mais sont plutôt déterminés par les horloges biologiques, lesquelles sont déterminées génétiquement. L'horloge humaine tourne un peu lentement, prenant environ 15-20 minutes de retard chaque jour, et elle doit donc être remise à l'heure par la lumière sur une base quotidienne. La lumière du matin avance nos horloges et les ajuste donc correctement au cycle jour/nuit, tandis que la lumière du soir retarde les horloges et donc les pousse encore plus loin du cycle jour/nuit naturel, en nous amenant à nous coucher et nous lever plus tard. Quand l'horaire de sommeil et d'éveil est libre de contraintes, celui-ci est aligné avec l'aube, même dans les aires urbaines où on vit avec la lumière électrique (Roenneberg et al., 2007).

L'horloge sociale est l'horloge qui est au mur, celle que l'on avance ou recule deux fois par an, celle qui nous dit quand nous réveiller pour aller au travail ou à l'école. Quand l'horloge sociale n'est pas alignée avec notre horloge biologique, nous sommes forcés de nous réveiller à une heure où notre cerveau n'est pas préparé à être pleinement alerte, nous mangeons alors que notre métabolisme n'est pas préparé à utiliser efficacement les nutriments, et nous devons être actifs alors que nos muscles ne sont pas prêts pour de l'activité. Cela crée un état appelé "décalage horaire social", similaire aux dérangements qu'on ressent quand on voyage vers de nouveaux fuseaux horaires et qu'on souffre des effets désagréables du décalage horaire (Wittmann et al., 2006). C'est dans cet état qu'on se retrouve sous l'heure avancée, alors que nos horloges biologiques essaient de s'ajuster au lever du jour mais que notre horloge sociale nous force à nous réveiller plus tard. À l'heure normale, midi à l'heure sociale est aligné avec le midi solaire, lorsque le soleil est à son point le plus haut dans le ciel; notre horloge sociale est alors mieux alignée avec l'horloge de notre cerveau, ce qui minimise les effets du décalage horaire social.

 

B. Changer l'heure deux fois par an crée des perturbations sociales et biologiques

Même sans considérer les horloges biologiques, tout le monde s'accorde sur le fait que changer l'heure deux fois par an dérègle nos vies, nous cause des gènes et peut mener à des erreurs au travail ou en société.

La recherche récente démontre les effets négatifs du changement d'heure sur la santé et le comportement. Les chercheurs ont découvert une augmentation des problèmes de santé aigus dans les jours qui suivent le changement d'heure du printemps, incluant des taux accrus de crises cardiaques (Janszky and Ljung, 2008;  Manfredini et al., 2019) et d'accidents vasculaires cérébraux (Sipilä et al., 2016). Il y a aussi plus d'accidents de la route (Coren, 1996) et une augmentation de nombre et de la sévérité des blessures en milieux de travail (Barnes and Wagner, 2009). Il y a même une étude remarquant que les juges imposent des sentences plus sévères dans les jours qui suivent le changement d'heure (Cho et al., 2017).

Ces effets néfastes du changement d'heure sont remarqués surtout au printemps, lorsque les horloges sont avancées, et moins l'automne, lorsqu'on les recule. Ceci nous indique que les causes des effets néfastes sont probablement liées à une perte d'une heure de sommeil au printemps, ajoutée au décalage, lorsqu'on passe de l'heure normale à l'heure avancée, dû au fait que nos cerveaux ne sont plus aussi bien alignés avec l'aube. Au printemps, on devient en état de décalage horaire lorsqu'on déplace notre horloge sociale plus loin de notre horloge circadienne interne, et cela peut prendre des semaines d'allongement des jours et d'aubes plus précoces pour qu'enfin notre horloge interne et l'horloge sociale concordent à nouveau. Le changement d'heure à l'automne déplace l'horloge sociale plus près de notre horloge interne, après que le raccourcissement des jours et les levers de soleil plus tardifs de l'automne a éloigné l'horloge circadienne de l'horloge sociale.

De nos jours il y a un consensus dans la société que d'abolir le changement d'heure pourrait être bénéfique. La question est donc plutôt: devrait-on adopter l'heure avancée ou bien l'heure normale à l'année longue?

 

C. L'heure avancée à l'année aurait des répercussions négatives sur la santé publique et l'économie

Dans la majorité des régions densément peuplées du Canada, le soleil ne se lèverait pas avant 9h00 en hiver si l'on était à l'heure avancée, et la lumière du jour s'attarderait une heure plus tard les soirs d'été par rapport à sous l'heure normale. En tant que pays du nord, le Canada inclut des latitudes plus élevées, où les effets d'aubes tardives en hiver et de crépuscules tardifs en été à l'heure avancée seraient ressentis plus fortement. À quels effets à long terme sur la santé pouvons-nous nous attendre avec l'heure avancée à l'année? Notre compréhension de l'horloge biologique humaine nous permet de prédire que notre horloge du cerveau essaiera de se synchroniser avec l'aube et nous poussera à aller au lit plus tard. Cependant, notre horloge sociale nous forcera à nous réveiller une heure plus tôt le matin. Est-ce que cela aura des conséquences sur la santé?

Nous avons des indications claires des impacts négatifs d'être décalés d'une heure par rapport à notre temps biologique: celles-ci viennent d'études sur la santé des populations vivant aux extrémités des fuseaux horaires. La Terre a été arbitrairement divisée en fuseaux horaires d'une heure. Ainsi, les habitants à l'est d'un fuseau horaire voient le soleil se lever une heure plus tôt (selon leur horloge sociale) par rapport aux gens à l'ouest de ce même fuseau horaire. Les chercheurs ont analysé les dossiers de santé et statuts économiques de ces deux populations, et ont noté un moins bon état de santé pour les habitants de la partie ouest, avec notamment une augmentation de la prévalence d'obésité, de diabète, de maladies du cœur et de cancer (Gu et al., 2017). De plus, les gens à l'ouest des fuseaux horaires ont un revenu par habitant 3% plus bas que ceux à l'est (Giuntella and Mazzonna, 2019). À quoi pourraient être dues ces différences? Tel que prédit, les habitants de l'ouest des fuseaux horaires vont au lit plus tard que ceux à l'est, mais doivent se lever à la même heure le matin à cause d'horaires de travail ou d'école fixes. Ils perdent donc du temps de sommeil: environ 20 minutes par nuit de semaine, ce qui s'accumule au cours de la semaine pour donner une grande dette de sommeil. Nous savons à partir de nombreuses autres études que la privation de sommeil affecte négativement la santé et la performance au travail. On voit déjà les impacts négatifs d'une différence d'une heure au travers d'un fuseau horaire; l'heure avancée à l'année longue ajouterait une heure additionnelle de décalage entre nos horloges sociales et nos horloges biologiques.

 

D. L'heure avancée à l'année aurait accroitraient les inégalités existantes dans la société

Les gens qui militent pour l'heure avancée à l'année présentent les avantages d'une heure de plus de lumière du jour en après-midi, en particulier l'été, donnant plus d'occasions de loisirs extérieurs (et de magasinage). De fait, le premier partisan pour l'heure avancée en Angleterre était un homme de plein air qui voulait avoir plus de temps pour jouer au golf l'été. Ce que ces partisans de l'heure avancée omettent est la perspective d'autres segments de la société les plus à même de rencontrer les impacts négatifs hivernaux de l'heure avancée à l'année: les travailleurs essentiels (surtout racisés) se levant avant l'aube pour se rendre à leur emploi faiblement rémunéré sans congés-maladie payés; des parents (habituellement des mères) luttant pour sortir leurs enfants du lit et de les préparer pour aller à l'école dans la noirceur du petit matin. Il est bien connu que les individus racisés, les femmes, et les gens de bas niveau socio-économique souffrent plus souvent de troubles du sommeil (Jehan et al., 2018), et l'heure avancée à l'année longue exacerberait probablement ces problèmes.

 

E. L'heure normale à l'année est le choix rationnel et populaire

Les partisans de lois promouvant l'heure avancée à l'année longue tentent de générer des réactions émotives positives via l'idée de plus de soleil estival en fin de journée, avec des noms comme “Daylight Saving Time” ou “The Sunshine Protection Act”, jouant sur l'illusion que la lumière du jour ou du soleil sont en danger et ont besoin d'être protégées. Quand on présente un projet de loi comme promouvant une "heure d'été à l'année longue", on nous fait croire à de la météo estivale en janvier. Il est bien sûr impossible de légiférer sur les phénomènes astronomiques, et nous aurons toujours le même nombre d'heures de lumière du jour.

Les arguments historiques en faveur de l'heure avancée à l'année incluent les économies d'énergie, tel qu'en Allemagne et en Autriche lors de la première guerre mondiale, ou aux États-Unis lors de la crise de l'énergie dans les années 1970. Ces économies d'énergie ne se sont jamais matérialisées, et des études n'ont montré que de très petits effets positifs ou négatifs, dépendant du lieu et du climat, mais pas d'économies globales (Kotchen and Grant, 2011). Des arguments ont aussi été présentés au sujet de supposés bénéfices pour les agriculteurs, mais il n'y a aucune indication que les agriculteurs aient jamais milité en faveur de l'heure avancée; leurs animaux et cultures suivent les cycles jour/nuit, et l'heure avancée n'a pas de réels bénéfices pour l'agriculture. Les agriculteurs doivent interagir avec des compagnies qui suivent l'heure sociale, comme les entrepôts de grains ou les compagnies d'entretien d'équipement agricole; sous l'heure avancée la fermeture de ces commerces plus tôt dans la journée par rapport au cycle jour/nuit peut créer des problèmes pour les agriculteurs.

Une grande partie du monde ne suit jamais l'heure avancée, une majorité de pays étant à l'heure normale en tout temps. En fait, l'heure avancée à l'année a été essayée à quelques reprises par certains pays, qui l'ont par la suite abandonnée. Les États-Unis l'ont essayée en 1974, alors que 79% de la population y était favorable; après le premier hiver, l'appui du public a chuté à 42% et l'expérience a été abandonnée après deux ans (Ripley, 1974). L'heure avancée à l'année a aussi été instituée au Royaume-Uni et en Russie, et les deux pays ont fait marche arrière après quelques années à cause de l'impopularité de la mesure.

 

Conclusions

La Société canadienne de chronobiologie, une association des scientifiques travaillant sur les rythmes biologiques au Canada, appuie l'adoption de l'heure normale à l'année longue, afin de mieux faire concorder nos horloges biologiques avec les cycles jour/nuit, de protéger la santé publique et l'économie, de diminuer les préjudices aux groupes vulnérables de la société, et de s'aligner avec la majorité des juridictions du monde. Nous demandons aux gouvernements de suivre les preuves scientifiques plutôt que de suivre l'appel émotif d'initiatives législatives aux noms trompeurs.

Nous endossons les déclarations faites en appui à l'heure normale à l'année longue par la Society for Research on Biological Rhythms (Roenneberg et al., 2019), la European Biological Rhythms Society, la European Sleep Research Society, et la American Academy of Sleep Medicine.

 

Bibliographie

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Déclaration de la Société canadienne de chronobiologie en appui à l'heure normale à l'année longue sur The Globe and Mail

Le 2 novembre 2019

Vous pouvez accéder à l'article en ligne sur The Globe ici (version anglaise).

Ici même (version française)


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